Régulièrement, l’Appel d’Être invite des artistes, chercheurs, journalistes, écologues à répondre à la manière dont il interagissent avec les autres vivants… Ou à proposer leur vision sur la nature, la biodiversité. Nous avons profité de notre échange avec Pauline Bugeon et Cédric Chamblin (Cathédrale Sauvage) pour leur proposer de se prêter à l’exercice. Ils ont accepté de nous donner, en toutes simplicité leur regard sur le vivant…
1- Quel est votre souvenir le plus ancien de votre rencontre avec le vivant ?
Cédric Chamblin : Dans ma jeunesse, je vivais dans une ferme. Un jour, un nid de moineaux est tombé du mur. Ma mère s’est investie pour sauver les quatre oisillons qui ont survécu. Elle les a tous nourri pendant trois semaines. Elle y a passé beaucoup de temps. Ils sont tous devenus forts et ont appris à voler. Le jour de leur relâché est arrivé.
Mais mon chien qui avait perdu l’attention de ma mère au profit de ces oiseaux est devenu très jaloux. Les oiseaux se sont envolés. Aussi, quand nous avons détourné le regard, le chien est parti comme une balle de fusil pour rattraper les jeunes moineaux. Il les a tous tués en quelques secondes. Un carnage. Le chien n’a pas été puni. Pour quoi faire ? C’est un chien. Mais je suis resté perplexe. Nous avons un tel pouvoir. Participer à la beauté du monde… ou le tordre jusqu’à la laideur.
2- Une œuvre d’art qui, selon vous, traduit le mieux notre rapport au vivant ?
Pauline Bugeon : C’est une œuvre de l’art littéraire. J’ai récemment lu le livre Son odeur après la pluie de Cédric Sapin-Defour qui a rencontré un succès assez inattendu auprès des lecteurs. Il y décrit le plus sincèrement possible sa relation avec son chien, ce qu’il en a appris, la façon dont ça l’a fait évoluer. C’est quelque chose que j’ai moi-même ressenti avec mon chien, un Royal Bourbon trouvé mourant au bord de la route à La Réunion.
« S’intéresser à un animal permet de changer le regard que l’on peut porter sur d’autre. »
On estime à 80 000 le nombre de chiens errants et divagants dans ce département français. Des animaux ni stérilisés, ni vaccinés, ni soignés. Ce chien que nous avons sauvé d’une mort douloureuse et certaine, est venu vivre avec nous et nos chats. Avec ce sauvetage imprévu, j’ai tissé un lien unique avec mon Rougail, tout comme Cédric Sapin-Defour avec son Ubac.
Un tel lien paraît facile car le chien est un animal sociable et qui a établi des relations très fortes avec l’homme. Mais c’est justement ce qui fait de lui une porte d’entrée vers l’intérêt que l’on peut porter aux animaux, qu’ils soient domestiques ou sauvages. Ce livre véhicule les idées d’empathie, de respect, de communication… avec un animal. Et c’est la raison pour laquelle il a rencontré un tel succès : cela a parlé à un grand nombre de lecteurs, qui comme nous ont connu ce genre de relation homme-animal. S’intéresser à un animal permet de changer le regard que l’on peut porter sur d’autre Or, on protège ce que l’on connaît. C’est un livre qui me remplit d’espoir.
Cédric Chamblin : C’est un film oublié de Richard Franklin intitulé LINK que j’ai vu au cinéma quand j’avais 13 ans, à sa sortie en salle. Le personnage central est un orang-outan appelé Link. Rescapé d’un zoo, ce vieux mâle a été récupéré par un professeur d’université (Terence Stamp) qui étudie le fossé entre l’homme et l’animal ou plutôt le primate. Pour ce travail il s’est isolé dans un manoir gothique au bord d’une falaise. Il travaille là avec un orang-outan, un bonobo et un jeune chimpanzé. Une jeune étudiante (Elisabeth Shue) débarque pour travailler avec le professeur et assiste à une explosion de folie. Ce film a été fait en 1986 et abordait des questions d’éthologie assez osées. Mais c’est un thriller, donc ça se passe mal. Le métrage montre que les pires comportements chez ces primates proviennent de ce qu’ils ont appris au contact des hommes. Grinçant !
3- Votre animal / plante préférée ?
Cédric Chamblin : J’aime beaucoup les grands oiseaux d’Afrique comme le bucorve du sud ou le bec-en-sabot du Nil… à égalité. Mais parmi les espèces plus paléarctiques, le courlis cendré… la bécasse des bois… l’œdicnème criard… l’huîtrier pie… l’engoulevent d’Europe… le butor étoilé… Il y en a tant ! Je n’arrive pas à choisir. Désolé.
Pauline Bugeon : L’hirondelle. L’élégante et raffinée hirondelle, celle qui amène le printemps. Qu’elle soit rustique ou de fenêtre, car je n’ai jamais eu la chance d’observer celle dite de rivage. J’adorais regarder les hirondelles, à la campagne, qui étaient alignées sur les câbles. C’étaient des hirondelles de fenêtre et à l’époque, je ne savais pas qu’il en existait d’autres. Elles volaient à grande vitesse, dansant dans les airs, et s’engouffraient heureusement rarement par les fenêtres de la maison. Un jour, l’un des nids de la façade est tombé, nous l’avons gardé des années en souvenir. Cette construction improbable, faite de boue et de brindilles principalement, à l’isolation thermique impeccable, est une preuve de leur grande ingéniosité.
J’ai appris bien plus tard que les hirondelles sont essentielles aux écosystèmes. Elles contrôlent la quantité d’insectes, réduisant ceux considérés comme nuisibles dans l’agriculture. Mais nos pesticides conçus pour décimer ces insectes, affament les hirondelles. A cela s’ajoute la réfection des façades et les divers habillages de sous-toitures qui n’existent que pour empêcher les hirondelles d’y faire leurs nids. Le résultat ? 40% des effectifs a disparu en 20 ans. Il n’y a d’ailleurs presque plus d’hirondelles dans ce village aujourd’hui. Nous n’entendrons bientôt plus leurs cris perçants, c’est malheureusement une réalité.
« Nous mettre à la place des autres et regarder le monde par un autre prisme. »
4- Le don du vivant le plus précieux ?
Pauline Bugeon : Son caractère systémique ! Le fait que tous les éléments qui constituent le vivant soient liés les uns aux autres. Car rien n’est dissociable du reste. J’adore cette idée.
Cédric Chamblin : Sa capacité d’innovation pour résoudre les problèmes.
5- Ce qui vous rend heureux dans votre rapport avec les autres vivants ?
Cédric Chamblin : L’incroyable bienveillance des animaux quels qu’ils soient à notre égard. Ça me surprend toujours. Les serpents préfèrent toujours éviter de nous mordre, les buffles de nous charger, les araignées de nous croiser.
Pauline Bugeon : Je suis très empathique envers le vivant. C’est un sentiment parfois considéré comme une faiblesse mais que je trouve enrichissant au niveau personnel. Ça nous apprend à nous mettre à la place des autres et à regarder le monde par un autre prisme.
Pour en savoir plus sur le film Cathédrale sauvage, consultez notre interview ou découvrez sa présentation.