Le Lynx est le plus grand félin d’Europe. Ce prédateur parfois surnommé « le fantôme des bois » avait disparu de nos forêts au XIXe siècle. Dans les années 70, il revient naturellement dans le Jura depuis la Suisse où il avait été réintroduit. Le photographe et réalisateur Laurent Geslin suit les Lynx du Jura Suisse depuis de nombreuses années. Celui-ci connaît désormais la plupart des grands félins de sa région. En janvier est sorti son documentaire « Lynx », premier film consacré à cet animal et fruit de 9 années d’observation. Laurent Geslin a accepté de répondre à nos questions.
L’Appel d’Être : Bonjour Laurent, quand vous est venu la passion du pistage et quand avez-vous décidé de marcher dans les pas du Lynx ?
Laurent Geslin : J’ai eu la chance de travailler dans le monde entier pour photographier notamment des grands félins, tigres, guépards, panthères ou jaguars et dès que je suis arrivé dans le Jura il y a 15 ans, je ne pouvais imaginer ne pas pouvoir observer cet animal au moins une fois.
En commençant à chercher tout près des chez moi… J’ai découvert des traces et des signes de la présence de l’animal. J’ai donc posé des pièges photographiques professionnels et ai commencé à comprendre le comportement de l’animal. Au fil des années, j’ai identifié quelques individus et réalisé qu’ils avaient tous un caractère particulier. Après plus de 12 ans de recherche, je peux prévoir les zones d’occupations de certains mâles ou femelles… Et je peux donc espérer les filmer.
LADE : Le Lynx est un animal très farouche et très prudent, qui n’aime pas se savoir suivi… Comment est-il possible de le voir sans être vu ?
LG : En connaissant les habitudes, je prévois plusieurs mois à l’avance les endroits où je vais me cacher. Certains affûts peuvent durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Et ce que je préfère à présent c’est pouvoir filmer le lynx à distance quand il ne sait absolument pas que je suis là.
LADE : C’est une espèce au territoire étendu… Réaliser un film sur le lynx a du vous permettre de vous rendre compte de ses dispositions physiques ?
LG : En le suivant dans la neige pendant plusieurs heures, je réalise à quel point l’animal est un véritable athlète. Il peut me semer en quelques bons en grimpant une partie de falaise ou disparaitre dans des buissons très denses. Mais surtout, il peut parcourir plusieurs dizaines de kilomètres en une nuit. Je peux donc le perdre pendant plusieurs mois.
LADE : Ce félin a un rôle non négligeable par son impact sur les populations d’herbivores… Mais aussi de petits carnivores (comme les renards). Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
LG : Il est intéressant de souligner que les premières personnes qui se sont accordées à réintroduire le lynx (dans l’Oberland bernois en Suisse au début des années 70) étaient des ingénieurs forestiers et le directeur fédéral de la chasse. Ils avaient constaté que le nombre de chevreuils et de chamois qui se regroupaient en grandes hardes ralentissaient la croissance des jeunes pousses de la forêts en broutant les arbrisseaux. Par conséquent, en relâchant les félins, les herbivores se sont dispersés et ont moins d’impact sur le rajeunissement des arbres. Il se nourrit également de renards ce qui complète la chaîne trophique (la chaîne alimentaire – NDR) de notre milieu naturel.
LADE : Les populations restent vulnérables. Cette fragilité est lié à une cohabitation difficile avec l’homme (fragmentation de son habitat, collision avec les véhicules, braconnage…). Que faudrait-il pour que les 2 puissent coexister ?
Pour espérer une population sans danger, il faudrait environ 1000 individus. Or, nous n’en avons que 150 dans le Jura. Afin d’atteindre cette métapopulation*, il faudrait que les massifs puissent être en connexion : les Vosges et le Jura, la forêt noire, le nord des Alpes… Malheureusement des zones industrielles, d’autoroutes, de zones agricoles ou de villes séparent ces grandes forêts…
Elle ne permettent pas au lynx de passer d’un massif à l’autre. De plus, la présence du lynx éparpille les herbivores. Il est donc plus difficile pour les chasseurs de tirer leur gibier préféré. Par conséquent, certains ne supportent pas la concurrence et au mieux, demandent de « réguler » le prédateur. Au pire, ils n’hésitent pas à tirer sur l’animal. Dans les Vosges, par exemple, un plan de réintroduction avait été mis en place début des années 80. Mais au début des années 2000, la population de lynx a totalement disparu à cause de tirs illégaux.
* ensemble de populations d’une même espèce séparés spatialement
Les photographies de cet article sont toutes de Laurent Geslin, tous droits réservés.