La cathédrale de Strasbourg est l’une des plus visitées de France. Chaque année, des millions de visiteurs se pressent pour découvrir l’édifice strasbourgeois. L’église accueille plus de quatre millions de personnes. Une autre population, plus discrète, fréquente, habite ou s’abrite au sein du monument de grès : oiseaux, reptiles, mammifères… C’est à la rencontre du petit peuple de cette Cathédrale sauvage, que nous emmènent, dans leur film* et dans leur livre**, Pauline Bugeon et Cédric Chamblin. Ils ont bien voulu répondre à nos questions. L’occasion d’aborder avec eux, les problématiques de la biodiversité en ville…
Une Cathédrale sauvage…
De prime abord, on ne pense pas à une cathédrale pour réaliser un documentaire animalier… Comment vous est venue cette idée ?
Cédric Chamblin : Les gens qui nous connaissent, sont au fait de notre passion pour les animaux. Malgré nous, notre numéro de téléphone circulait pour quiconque trouvaient un animal blessé dans la rue. De jour comme de nuit, on se présente à notre porte avec des animaux en détresse. Nous ne sommes pas vétérinaires. Nous aidons quand les bêtes demandent peu de soins. Les autres sont directement convoyées vers les centres de sauvegarde habilités. L’animal en détresse est souvent un pigeon biset. Parfois c’est un pigeon ramier ou une corneille. Il y a eu des moineaux domestiques, des mésanges.
Jusqu’à ce jour où l’on nous a apporté un martinet noir. Un oiseau qui migre sur 5000 kilomètres depuis la forêt équatoriale africaine. Nous avons commencé à nous intéresser à l’espèce. Nous avons cherché et découvert qu’il provenait de la cathédrale de Strasbourg où des centaines d’autres martinets tournoyaient. A cette époque, nous devions tourner une série de films au Moyen-Orient. Nous cherchions un nouveau sujet moins complexe sur le plan logistique et qui pourrait se tourner en France.
A ce même moment, ma sœur m’a fait suivre un article du journal local qui présentait le conservateur de la cathédrale de Strasbourg, Mathieu Baud. À l’occasion des journées du patrimoine, nous avons pu le rencontrer en personne. Le courant est passé immédiatement. Il s’intéressait autant au patrimoine bâti qu’au patrimoine naturel. Un type formidable, passionné et passionnant… un personnage idéal à mettre au centre d’un film avec en toile de fond une cathédrale millénaire et des animaux. Une façon idéale de parler de biodiversité en ville.
Un premier inventaire réalisé en 1882…
Fait étonnant, un inventaire de la faune présente dans la cathédrale a été réalisé il y a 140 ans. Que nous apprend celui-ci ?
Pauline Bugeon : Lorsque nous avons commencé nos recherches sur la faune de la cathédrale, Mathieu Baud, le conservateur de l’édifice, nous a parlé d’une note d’un naturaliste sur les animaux de la cathédrale de Strasbourg. Il se trouve que la version d’origine de cette note figurait dans les archives vieilles de 800 ans de la Fondation de l’Œuvre Notre-Dame ! Mathieu nous y a alors introduit et permis de consulter le dit document. Il n’était pas bien épais et était écrit par Ferdinand Reiber, un auteur naturaliste, passionné notamment d’insectes et qui s’était donné pour pseudonyme « Frère Coléo ». Un original dont l’autre passion était… la bière ! F. Reiber avait entrepris un premier inventaire de la cathédrale en 1882, intitulé Note sur la zoologie de la cathédrale de Strasbourg .
… Riche d’enseignements
En croisant ce qu’il décrit et nos connaissances, nous estimons qu’il a fait ses observations sur une durée relativement courte, ne lui permettant d’observer que certaines espèces. Car une grande quantité d’animaux fréquentent la cathédrale, mais ils ne sont pas tous présents à la même période. F. Reiber nous a permis de savoir que l’édifice abritait des hirondelles rustiques, qui sont en déclin aujourd’hui dans nos villes et nos campagnes, à cause de l’usage de pesticides dans l’agriculture et les jardins privés.
Effectivement, lors de notre « enquête » qui s’est étirée sur environ deux ans, nous n’avons à aucun moment pu voir cette espèce. Ni sur la cathédrale si dans la ville de Strasbourg. On y trouve également le faucon crécerelle, la chauve-souris, sans précision de l’espèce observée, quelques mentions d’insectes, le moineau, mais pas le roitelet triple bandeau. Ce punk des oiseaux, coiffé d’une crête orange vif, ne visite l’édifice qu’à une période très précise (fin septembre – mi octobre) et sur une seule partie de la cathédrale : à la base de la flèche. C’est Ferdinand Reiber qui nous a permis de trouver l’endroit où nichent les martinets noirs, que nous aurions eu bien du mal à identifier sans coup de pouce.
Des rencontres marquantes…
Votre film et votre livre nous proposent de nombreuses rencontres avec de multiples espèces. Laquelle vous a le plus surpris ?
Pauline Bugeon : C’est une question que l’on nous pose fréquemment et à laquelle j’ai beaucoup de mal à répondre, car j’ai encore en mémoire toutes les observations que nous avons pu faire sur la cathédrale, et qu’il n’y en a pas une qui m’est plus chère qu’une autre. Celle qui m’a le plus surprise c’est la pipistrelle, la plus petite chauve-souris de France, qui faisait une pause inattendue à l’intérieur de la cathédrale, au milieu des touristes et à portée de main.
C’est un souvenir doublement marquant. D’une part, c’était la première fois que j’avais l’occasion d’observer ce mammifère au repos et de près ! Nous avons eu le loisir de voir sa gueule grâce à nos optiques, car nous ne nous sommes pas trop approchés d’elle afin de ne pas la déranger, et contrairement à l’imaginaire collectif, je peux dire que c’est mignon comme tout. Cette vision hors du commun était également marquante car nous venions interviewer un salarié qui, nous disait Mathieu, avait pour habitude de trouver des chauves-souris à l’intérieur de la cathédrale et faisait son possible pour qu’elles ne soient pas dérangées. Nous ne pensions pas être interrompus en plein milieu de l’interview car justement, une pipistrelle venait d’être repérée !
Mais pas forcément idylliques…
Cédric Chamblin : C’est le faucon pèlerin. Cette femelle a noué non pas une relation mais un rapport de bienveillance avec Mathieu qui se montre toujours calme et bienveillant. Mathieu m’a fait récemment suivre une vidéo qu’il a réalisé avec son téléphone. Il était dans la flèche et il avait réussi à se poster au-dessus du pèlerin qui lui, ne le voyait pas. Mathieu est parti comme il est venu, discrètement sans le déranger. Ils ont une relation harmonieuse comme l’homme devrait toujours avoir à l’égard du vivant.
Pour ma part hélas, je n’ai pas un rapport aussi poétique avec ce faucon pèlerin. Pendant le tournage et les repérages, avec l’équipe de tournage, nous avons beaucoup investi son territoire. Le faucon m’a repéré. Dès qu’il me voyait sur l’édifice, il partait en hurlant.
Mais ça ne s’est pas arrêté là. En ville, il possède d’autres spots de chasse où il se place à l’affût. Et quand il m’arrivait par hasard de passer par une de ces rues ou il chassait, en m’apercevant, il partait dans une colère noire en hurlant. Je crois que le faucon était fou de rage de me voir dans une autre partie de son territoire. Le rapace me repérait parmi des centaines de passants et ne se calmait pas tant que je n’avais pas tourné au bout de la rue pour disparaitre. Ce faucon a noué avec moi une relation de haine. Ce n’est pas ce que je voulais, mais c’est comme ça…
Prendre le vivant en compte
Concilier conservation du patrimoine et de la biodiversité, c’est finalement possible ?
Cédric Chamblin : C’est un enjeu de société sur lequel Mathieu Baud (conservateur de la cathédrale de Strasbourg) s’est considérablement investi. Il répondrait mieux que nous à cette question. Il a pris le temps de se renseigner, de commander des études… Mais oui, c’est possible de concilier conservation du patrimoine et biodiversité.
Depuis deux à trois décennies, le patrimoine bâti est partie intégrante du plus important secteur économique français et européen, le tourisme. Ce sont les administrations qui en ont la charge. Le bâtiment est un objet culturel que l’on présente sous cloche, immaculé. Or, les animaux vivent avec ces constructions depuis leurs débuts et interagissent avec.
Mais aujourd’hui, l’on perçoit le végétal et l’animal comme des parasites. Les administrations ne se posent pas la question de leur légitimité et appliquent des directives qui ne prennent pas en compte le vivant. L’administration est un système pyramidal. Dans ce monde, avancer l’idée d’intégrer la nature au bâti alors que personne en haut lieu ne le demande, revient à chambouler un fonctionnement bien établi.
Tant que nos politiciens ne donnent par des directives claires sur la manière d’intégrer le vivant dans nos villes, rien ne changera. Certes, nous n’avons légalement pas le droit de détruire les nids d’hirondelles, mais qu’en est-il des moineaux qui disparaissent à une vitesse vertigineuse et qui dépendent de nos constructions ? Nous avons le sentiment que les gouvernements sont hostiles à l’écologie et au bien-être animal car notre système économique ne repose pas sur ces priorités. Changer ce vieux système, c’est risquer de voir le modèle économique faillir. Pourtant, la crise climatique, dont la protection de la biodiversité est un pan indissociable, devrait être la priorité.
Comprendre la nature pour mieux l’aider à s’installer
Pour donner un exemple, plus que tout autre problématique, les fientes de pigeons sont un véritable point d’accrochage entre toutes les parties. Ces excréments sont inesthétiques, mais contrairement à une idée reçue, ils ne sont pas nocifs pour la pierre, matière première de la cathédrale mais pour le plomb. C’est ce qu’a découvert Mathieu Baud. Pourtant, l’idée que les fientes d’oiseaux attaquent la pierre a hélas pris fortement racine dans l’inconscient collectif.
Des solutions existent pour concilier patrimoine bâti et biodiversité. Regardez la cathédrale de Cologne, où des pigeonniers ont été installés ! Les œufs sont secoués pour les stériliser, ou remplacés par des œufs en plâtre pour éviter une nouvelle ponte trop rapide. Ainsi les populations sont contenues. Le faucon pèlerin installé sur le site joue un rôle encore plus utile.
Car les pigeons font leur petit tour du matin pour se dégourdir les ailes mais regagnent leur lieu de vie sans s’attarder ailleurs sur le site que dans leur pigeonnier. Au-delà de les contenir en un lieu, cela évite les salissures. Malin. Si au lieu de combattre la nature, on cherche à la comprendre et qu’à partir de ces connaissances on l’aide à s’installer en l’encadrant, le résultat est in fine positif. Tout le monde est gagnant. Le cas du pigeon biset est symbolique. Il en va de même pour toutes les espèces.
Un témoin de la biodiversité urbaine
Ce que montre votre film, d’une certaine façon, c’est que, sans le savoir, d’autres vivants habitent aussi nos villes et nos bâtiments. Comment prendre conscience de leur présence à nos côtés ?
Pauline Bugeon : Il faut en parler. Il faut encourager la diffusion des connaissances, suivre les scientifiques qui communiquent sur les réseaux sociaux, écouter les podcasts spécialisés, adhérer aux associations qui font un travail sous-estimé pour la biodiversité et avec très peu de moyens. Ne pas bâillonner les spécialistes du vivant et de l’écologie au profit d’idées reçues. La culture et la connaissance sont accessibles à tous avec internet. S’informer, se renseigner, enregistrer les informations données… Voilà comment faire avancer le débat. Penser également à sensibiliser ses enfants, ses proches à faire attention à la nature. Les oiseaux sont un bon moyen pour commencer l’éveil à la nature. Je regrette qu’on continue encore aujourd’hui à séparer les concepts d’écologie et de protection de la nature. L’un ne va pas sans l’autre.
* Le film a reçu le Prix de la Protection de la Nature au Festival International de Ménigoute.
Pour en savoir plus : fiches Allo ciné et Imdb – page Facebook
** Cathédrale sauvage, Pauline Bugeon, Cedric Chambin, Alain Mauviel (Photographie), La Nuee Bleue, 2022