« La plupart des gens en ville courent en tous sens, donc ils n’ont pas le temps de regarder une fleur. Je veux qu’ils la voient, qu’ils le veuillent ou non… » Ainsi écrivait Georgia O’Keefe. Cette peintre américaine est connue pour ses tableaux de grand format où les fleurs sont omniprésentes : pavots, arums, iris… Elle en peint deux cents entre les années 1920 et 1950. Mais ses contemporains ont décidé de ne pas y voir des fleurs… Mais des sexes humains…
Après son ouvrage « Apprendre à voir« , Estelle Zhong Mengual poursuit, avec « Peindre au Corps à corps« , son entreprise de « pister le point de vue du vivant dans les œuvres d’art ». Et elle nous invite à changer notre regard sur l’œuvre de Georgia O’Keefe et aussi sur celui que nous avons des fleurs…
Partenariat avec Actes Sud
Ce que l’on retient de « Peindre au corps à corps »
- Malgré le fait que, toute sa vie, Georgia O’Keefe ait refusé cette interprétation, les critiques ont vu dans les fleurs peintes par celle-ci, des sexes tantôt féminins, tantôt masculins…
- Mais si l’on décide de ne pas y voir uniquement des symboles sexuels humains, que reste-t-il ? Des formes sans significations particulières ? De quoi peut-on parler ?
- Une posture qui rappelle, pour Estelle Zhong Mengual, la crise de notre sensibilité au vivant (formulée par Baptiste Morizot). Nous ne voyons rien parce que nous ne savons plus voir au delà des interprétations symboliques de la fleur…
- Alors comment faire pour que l’on accorde plus d’importance aux fleurs ? Georgia O’Keefe les peint sur des toiles de grand format, dans un rapport de proximité avec la plante. Elle nous offre un « corps à corps » avec les plantes :…
- Mais n’y a-t-il pas des êtres qui possèdent ce point de vue sur les plantes ? Estelle Zhong Mengual explore l’idée que Georgia O’Keefe peint les fleurs du point de vue…. des pollinisateurs. Et c’est d’ailleurs – au delà de ses attributs symboliques ce que peut raconter la représentation d’une fleur : un « corps à corps immémorial » entre insectes et fleurs, un partenariat (une coévolution) vieux de plusieurs centaines d’années….
« Les fleurs de O’Keefe frappent par leur étrangeté (…) Nous ne sommes plus devant elles mais à son orée. O’Keefe peint les fleurs au corps à corps. »
Estelle Zhong Mengual
Ce que l’on aime dans « Peindre au corps à corps »
- Estelle Zhong Mengual nous propose une autre forme de regard sur l’œuvre de Georgia O’Keefe et par la même sur la façon dont nous pouvons interpréter la place d’un être vivant dans une œuvre d’art…
- Un livre simple, limpide qui nous invite à reconsidérer notre imaginaire, à changer de perspective pour découvrir un monde fascinant, merveilleux… Celui d’un être vivant façonné par sa
co-évolution avec les pollinisateurs… - Une invite à découvrir, au delà de nos propres systèmes symboliques humains (le langage des fleurs où les couleurs de celles-ci sont des symboles de nos sentiments), d’autres significations que le vivant a mises en place (des incitations adressées à différentes espèces de pollinisateurs en fonction de la couleur)… Elles deviennent des « corps signifiants »
- Un plaidoyer pour rompre avec l’imaginaire seulement sentimental « presque mièvre » associé aux fleurs. Les fleurs créent les conditions d’existence nécessaires à l’existence de nombreux êtres vivants à commencer par l’homme.
« Quand elle est aperçue du point de vie des pollinisateurs, la fleur se métamorphose. Elle n’est plus cette petite chose fragile et ravissante : elle est un pilier caché du monde. N’avez-vous jamais pris un instant pour penser à cela », écrit la naturaliste Frances Theodora Parson « que votre vie même dépend des plantes (…) ? Vous savez qu’elles sont jolies à regarder (…) mais je doute que vous ayez jamais pris conscience, avant, du fait que c’est à elles que vous devez la vie. »
Estelle Zhong Mengual
Peindre au corps à corps, les fleurs et Georgia O’Keefe, un livre d’Estelle Zhong Mengual, publié en 2022 aux éditions Actes Sud – Collection Mondes sauvages.