Le chardonneret, symbole du Christ… Un paysage brumeux symbole de notre mélancolie… Une forêt décor d’une scène mythologique… La peinture et l’art font largement appel à la nature et au monde vivant. Mais d’une certaine façon, ne sont-ils pas présents pour « autre chose qu’eux mêmes » ?
Alors peut-on ou doit-on apprendre à voir ? C’est la question que se pose Estelle Zhong Mengual qui cherche à « pister le point de vue des vivants dans les œuvres…
L’autrice : Estelle Zhong Mengual
Estelle Zhong Mengual est historienne de l’art et enseigne au Beaux arts de Paris. Elle intervient également dans le Master d’Expérimentation en Art et Politique (SPEAP) à Sciences Po Paris. Celle-ci s’intéresse aux relations que l’art, passé et présent, entretient avec le monde vivant. Enfin, elle travaille notamment à « l’élaboration d’une histoire environnementale de l’art, qui propose un nouveau régime d’attention à la représentation du vivant dans l’art. »
Attribuer une dimension symbolique à chaque fleur à partir de sa couleur, de sa forme, de son parfum répond de manière directe à l’illisibilité moderne. le corps d’une fleur devient une entité signifiante qui parle, qui me parle de moi, de mes souvenirs, de mes émotions…
Estelle Zhong Mengual
Ce que l’on retient d' »Apprendre à voir » :
- Le vivant est présent dans la peinture. Mais bien souvent, il est utilisé pour nous parler… de nous mêmes… Ce peut être un symbole, un décor, un miroir de nos émotions. C’est certes une manière de lui prêter attention. Mais, s’interroge Estelle Zhong Mengual, le vivant ne peut-il pas nous parler d’autre chose que de nous ?
Et de raconter l’exemple de l’anthropologue Philippe Descola. Celui-ci, arrive au bord d’un fleuve en Amazonie. Tout de suite, cette scène lui fait penser à des peintures de paysage qu’il a en tête. Mais son œil, en convertissant « ce milieu naturel en une vue » ne voit pas les essences d’arbres, ou les traces d’animaux en lisière de forêt… - Avec « Apprendre à voir » Estelle Zhong Mengual veut nous faire prendre conscience que l’on peut multiplier les manières de voir. Et elle part à la rencontre de peintres / naturalistes qui ont tenté d’élargir notre vision. Pour elle, l’art est un médium, un intermédiaire avec le monde et certains peintres, observateurs (et dans le livre il est plus particulièrement question d’observatrices) qui ont saisi le vivant avec une acuité différente.
- Ce faisant, Estelle Zhong Mengual s’inscrit dans les traces de Baptiste Morizot : la crise écologique actuelle est une crise de la sensibilité au vivant. Elle nous propose donc de voir autre chose dans les œuvres, à « pister le point de vue du vivant dans les tableaux ». Mais elle nous propose aussi de passer de la théorie à la pratique en nous narrant ses rencontres avec d’autres formes de vie (un papillon, des mésanges…). Autant de formes d’attention pour se rendre sensible à différentes manières d’être vivant…
Ce que l’on aime dans « Apprendre à voir »
- Estelle Zhong Mengual entreprend de pister le point de vue du vivant dans les tableaux : ainsi en un tableau d’Albert Bierstadt, elle tente de nous montrer comment le peintre est un « intercesseur » :
C’est en effet à un monde vivant recomposé que le peintre nous fait accéder, rendu plus signifiant, plus lisible par les puissances propres de l’art…
Estelle Zhong Mengual
- Au delà de l’art et de la peinture, Estelle Zhong Mengual s’intéresse aux écrits des femmes naturalistes anglo-saxonnes du dix-neuvième siècle (Arabella Buckley, Frances Theodora Parson…). Celles-ci nous appelaient déjà à nous détourner de nos préoccupations quotidiennes pour nous intéresser au monde naturel, à son observation…
- Les vignettes autobiographiques où Estelle Zhong Mengual nous décrit ses rencontres avec d’autres vivants. Une manière pour elle de raconter comment elle « apprend à voir », comment son monde s’enrichit progressivement de formes de vie auxquelles elle a su se rendre attentive…
- Un ouvrage où les propos de l’autrice sont richement illustrés. À l’image de cette couverture, reprenant une œuvre l’artiste américain de Tom Uttech : un paysage crépusculaire où l’œil voit progressivement émerger des loups, des ours…. l’ouvrage nous signifie d’entrée, qu’au delà d’un simple paysage, nous pouvons nous éduquer à voir d’autres êtres vivants. Mais aussi à identifier aussi les relations riches et multiples qu’ils entretiennent entre eux et avec nous…
Notre monde vécu s’ouvre, s’étend, se repeuple, s’intensifie
Estelle Zhong Mengual
Chaque jour et une occasion inouïe d’apprendre à voir.
Apprendre à voir – Le point de vue du vivant, un livre d’Estelle Zhong Mengual, publié en 2021 aux éditions Actes Sud – Collection Mondes sauvages